El Jebha

Notre première navigation le long des côtes marocaines doit nous emmener à El Jebha, un port de pêche qui ne compte pas parmi les nouvelles marinas créées par le roi pour favoriser l’essor du tourisme en Méditerranée.
Avant de quitter marina Smir, nous avons à nouveau droit à la petite musique administrativo-polico-douano-royal.
Les Autorités nous informent que tous nos départs et toutes nos sorties doivent absolument figurer sur le formulaire bleu dûment tamponné qui nous a été remis à notre arrivée. « Surtout ne le perdrez pas et faites-le bien remplir à chaque fois ! »
Quand je pense que grâce à l’Europe nous nous sommes débarrassés de toutes ces tracasseries administratives et que bon nombre de nos concitoyens veulent revenir à « l’Ancien Régime », je me dis qu’ils devraient venir au Maroc se faire une petite piqûre de rappel et on verra s’ils ne changeront pas d’avis !

Le capitaine du port nous informe par ailleurs qu’il est interdit de mouiller pour la nuit le long des côtes marocaines. « Pour votre sécurité » insiste-il.
La réalité est que les autorités marocaines ne souhaitent pas que de simples touristes comme nous assistent au trafic de cannabis qui arrive tout droit des montagnes du Rif pour être transporté via des bateaux ultra rapides en direction de l’Espagne.

Nous quittons donc Smir pour El Jebha avec Deofamilh et Charisma. Nous avons environ quarante cinq miles à parcourir. A raison de quatre noeuds de moyenne par heure nous espérons mettre environ douze heures.

Dès que nous passons le cap de Ras El Aswad, l’immense plage de Smir qui se prolonge jusqu’à M’Diq disparait comme dans un mirage et avec elle toute habitation.
Pendant des miles et des miles nous longeons une côte sauvage surplombée par les hautes montagnes du Rif.
Deofamilh et Charisma ne sont plus que deux points blancs sur l’horizon. Il fait très chaud, la mer est calme et le vent tout juste suffisant pour faire avancer le bateau.

Vers 19 heures nous arrivons enfin à El Jebha. Une fois la digue passée nous découvrons un port qui pourrait presque ressembler à une gravure du XIXème.
D’un côté un immense quai couvert de filets, avec quelques bateaux de pêche, et de l’autre la mosquée, presque les pieds dans l’eau. Derrière, une petite ville aux façades blanches semble écraser par les puissantes montagnes qui l’entourent.
A l’entrée du port nous apercevons Charisma et Deofamilh amarrés côte à côte le long du quai des pêcheurs. René nous fait signe de nous amarrer à couple de Deofamilh et voilà la flottille réunit au grand complet !

Le capitaine du port, un jeune homme fort courtois, nous signale qu’il n’est pas autorisé à accueillir des plaisanciers mais que parfois, dans des circonstances particulières, il peut faire une exception. Et cela tombe bien car aujourd’hui en est une : « Nous dirons que la météo n’étant pas favorable, vous avez trouvé refuge pour la nuit à El Jebha. » Mais car il y a toujours un mais : « Demain la météo étant plus favorable, il vous faudra repartir. »

Le soir nous allons dîner dans un petit restaurant face au port. Un client très sympathique nous recommande le plateau de poissons et de calamars grillés. Le client qui est en fait le patron a raison, c’est un délice ! Et le prix, à peine celui d’un ticket de métro …
Cela me fait penser qu’à l’heure où nous sommes assis, un million de passagers doivent être entrain de se croiser à la gare du nord !
Dans un endroit comme celui-ci où un pauvre paysan passe toute sa journée assis sous un parasol à vendre trois figues de barbarie, où un pêcheur ravaude son filet avec une maille coincée dans son gros orteil pour le maintenir tendu, où un jeune garçon rentre de la pêche avec une roussette dans les bras et où un groupe de femmes voilées avec une toute une marmaille boivent un thé à la table d’à côté, penser au métro parisien est un autre vrai délice !

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