A notre grande surprise marina Marchicamed est entièrement gratuite. Places de port, formalités, eau, électricité, Wifi, tout est gratuit. Ainsi en a voulu le Roi qui compte faire de Marchicamed et des trois autres marinas en construction, un haut lieu du tourisme marocain.
Cette gratuité pour une durée de cinq ans est si j’ose dire « pas tombée dans l’oreille de sourds » qui ayant eu vent de cette bonne planque, paressent au frais de la princesse ou plutôt du roi…
Parmi eux Dom et Biti.
Lui est français, elle marocaine. Ensemble ils vivent sur un petit voilier en bois. Lui, ancien réalisateur de programmes d’animation vit au jour le jour, a un tropisme certain pour une certaine herbe qui vient tout droit du Riff et ponctue chacune de ses phrases par un « Inch’ Allah » empli de philosophie. Elle, jeune, vive, très déterminée, a compris très tôt que quitte à remettre sa vie entre les mains de quelqu’un, il valait mieux que ce soit entre les siennes.
Dès le lendemain de notre arrivée elle toque au bateau
« Bonjour les amis c’est Biti » Une demie heure après nous connaissons toute sa vie.
Son père, un trafiquant de drogue meurt alors qu’elle est petite, sa mère part peu après lui. Adolescente elle traverse le détroit de Gibraltar sur un boat peuple pour vivre en Europe mais car il y a toujours un mais, au moment de débarquer, elle reçoit une balle en caoutchouc tirée par la police italienne. Résultat, trois mois à l’hôpital avant d’être ramenée au Maroc, retour à la case départ. A nouveau les petits boulots, les fins de mois difficiles, la galère. Et puis un jour cette rencontre avec Dom, « mon mari », un gars gentil avec lequel elle aimerait tant s’installer en France.
Elle est sympa Biti. Chaque jour elle nous propose de nous emmener en ville dans sa voiture.
« Nous sommes six, Biti, ta voiture est trop petite !
Mais non, regarde, toi tu vas dans le coffre avec René et les autres ils se débrouillent sur les banquettes. »
Sa vieille 306 break est notre boîte de sardines et nous, serrés, trempés de sueur, terrifiés par sa conduite autoritaire, ses obligés-invités.
Elle est sympa Biti et surtout elle est drôle. Selon elle toutes les femmes en tchador sont des filles qui ont fait les quatre cent coups et qui se cachent sous leurs voiles pour ne pas être reconnues.
« Je te jure, ces filles-là elles ont pas de dieu, elles ont eu beaucoup de garçons, elles ont fait beaucoup de bêtises. »
Son explication inattendue de la femme voilée nous ravit.
« Mais toi tu n’as jamais porté le tchador ? »
« Moi jamais un homme il me mettra le tchador, moi je me baigne toujours en bikini et même les seins nus ! »
« Mais tu n’as pas peur d’être mal vu par les gars du port et tous les ouvriers qui travaillent dans la marina ? »
« Bien sûr les gars ils me regardent bizarrement mais moi je me baigne en leur faisant comme ça (elle dresse plusieurs fois son majeur vers le ciel), ça veut dire va te faire foutre ! »
Le soir de notre départ elle organise un grand couscous pour nos trois bateaux et tous les résidents de la marina. Elle a emmené Brigitte, Sylvia et Laurence faire des montagnes de courses en ville et a passé l’après-midi derrière l’unique fourneau de son petit bateau.
Son couscous est vraiment délicieux. Nous le mangeons selon la coutume, avec les doigts, confortablement assis sur des coussins de plage à même les pontons en compagnie d’un jeune couple de baba cool suisses et de retraités français qui eux aussi vivent là depuis quelques années.
Le lendemain nous nous séparons avec effusion. A peine avons-nous parcouru quelques miles que le téléphone affiche un nouveau message vocal : « Vous allez me manquer. Biti. »
Nous aussi Biti tu vas nous manquer.


