Marre de ces cons-là !

  1. Nous avons rencontré un drôle de zèbre à Sète. Un gars à la langue bien pendue, au verbe haut, en un mot un article peu courant. Romain.
    Romain, cousin de notre beau-frère dont le père n’est autre que le frère de la mère du mari de notre sœur, Romain donc vit à Sète où il exerce la profession d’ostréiculteur et tient un restaurant sur l’étang de Thau : Les Demoiselles Dupuy.

Ayant été prévenu par notre beau-frère de notre arrivée, il nous propose de venir nous chercher avec son bateau à moteur car le pont pour accéder à l’étang de Thau est fermé pour cause de travaux et nous ne pouvons donc pas passer dessous avec notre mât.
Avant de nous rendre à notre point de rendez-vous nous décidons de passer à la capitainerie où nous avons affaire à un jeune garçon fort sympathique.
“Hé comment ça va, ça fait plaisir de voir des gens qui sont bien dans leur peau et qui ont le sourire.”
Laurence lui explique que nous restons plusieurs jours et lui demande de lui préparer la facture.
“Et vous la voulez comment votre facture ? Je peux vous l’envoyer par mail si vous voulez ?
Laurence : Non je préférerai que vous me l’imprimiez, c’est plus simple pour faire mes comptes, vous pouvez me l’imprimer ?
C’est que l’imprimante elle est dans la pièce à côté…ça fait un peu loin…”
Finalement le gars imprime la facture, nous donne une carte de la ville, nous explique comment aller à notre rendez-vous et achève ses explications en nous disant qu’en cas de problème il est là 24h sur 24, qu’on peut compter sur lui et que son téléphone est toujours à portée de main.
Il est tellement sympathique que nous n’osons lui dire qu’en arrivant la veille vers 17h, il répondait aux abonnés absents…

En chemin nous découvrons Sète, son canal bordé de beaux immeubles défraîchis aux enseignes d’un autre temps, ses quais encombrés de filets de pêche, ses gros Thoniers qui côtoient des petites barques, ses restaurants, ses gargotes, ses bouis-bouis où ça fleure bon l’ail, le poisson, la mer ! Sète est un port de pêche, une ville-filet dans laquelle tout un monde grouille, bouillonne, s’interpelle, chahute, parle haut !
Longer le canal de Sète c’est entrer dans une dimension où tous les sens sont conviés, où le spectacle vivant est partout.
En trois mots, Sète c’est chouette !

Parvenus à notre rendez-vous à l’heure dite, nous nous attendons à voir Romain mais car il y a toujours un mais, il n’est pas là.
Appel, répondeur, message, texto. Pas de Romain.
Attente.
Appel, texto, pas de Romain.
Attente.
Une heure plus tard, nous voyons au lointain un petit point noir sur l’étang de Thau qui grossit à la vitesse grand V. Un grand gars avec un tee-shirt jaune (ah! ah! ) se présente devant nous :
“Salut les aventuriers, désolé mais j’ai consulté mon téléphone à onze heures et voyant qu’il n’y avait pas de message, je suis retourné au boulot et je vous ai oublié.
Bon faut y aller parce que c’est le coup de feu au resto.”
Sitôt dit sitôt fait, manette des gaz à fond et nous voilà embarqués pour une partie de tape-cul, nous sommes assis à l’avant sur une banquette en bois, digne d’un grand prix de sauts d’obstacles à Auteuil.

Arrivés devant les bassins où il élève ses huîtres, Romain coupe le moteur et se lance dans une diatribe bien salée contre les politiciens locaux.
“Ils vont nous faire crever tous ces cons-là avec leurs conneries. Ca fait des années qu’on leur explique que l’équilibre écologique de l’étang de Thau est fragile. Toutes les études prédisent une catastrophe écologique mais ils s’en foutent, ils continuent à construire des digues, et des digues et encore des digues. C’est quand même pas difficile de comprendre que l’eau de l’étang se renouvelle avec l’eau de la mer et qu’il faut surtout pas l’empêcher de circuler librement. Résultat il faut maintenant deux ans pour élever une huître alors qu’avant on faisait deux récoltes par an. Bientôt il n’y en aura plus. Ils sont entrain de tous nous faire font crever ces cons-là, y’en a marre d’être dirigé par des imbéciles…”
D’un geste de la main il soulève une corde sur laquelle sont accrochées ses huîtres. “Tu vois, celle-là a un an, elle est grosse comme une telline, j’ peux quand même pas vendre des huîtres grosses comme des tellines ! Marre de ces cons-là !”

Et hop un coup de manette des gaz et nous voilà arrivés aux Demoiselles Dupuy.
Le restaurant est une charmante guinguette, les pieds dans l’eau. Il nous présente sa femme Olivia qui travaille avec lui. Autant lui ressemble à un volcan en irruption autant elle semble paisible, calme. Le Ying et le Yang…

Deux dames d’un âge certain se dirigent vers lui. L’une d’elle tient en laisse un petit chien court sur pattes et rond comme une saucisse.
“Bonjour Romain, nous avons réservé pour deux, enfin pour trois, je suis venue avec mon chien. Il est mignon hein ?
Quoi c’est à toi cette horreur, il est affreux ce chien. Bon allez viens par ici mais surtout la prochaine fois, promets-moi de ne pas revenir avec ce truc, il est vraiment trop laid !”

Il se tourne vers une serveuse :
“Ils sont pas encore arrivés ceux qui ont réservé la table pour dix ?
Non pas encore.
Et ils ont pas appelé ?
Non.
Alors si les clients s’y mettent aussi c’est la clef sous le paillasson assuré. Imagine une table de dix ! Le manque à gagner, les gens s’en foutent, les politiques s’en foutent, tout le monde s’en fout et nous pendant ce temps on trime et on crève ! Bon j’espère qu’au moins tout le monde va goûter ma brasoucade parce que j’en ai fait un wagon !”

Et hop le voilà qui transporte une immense poêle à paella remplie de moules qu’il pose sur un feu de bois bien nourri. Au bout de quelques minutes, il verse sur les moules une préparation à base d’huile d’olives, d’herbes, d’ail et d’un je ne sais quoi dont il garde le secret.
Le résultat est à tomber par terre.
Nous le complimentons sur sa cuisine mais au lieu d’être satisfait, voilà qu‘il reprend son discours incendiaire sous le regard amusé des clients qui vraisemblablement sont venus aussi pour le spectacle :
“Il faut bien que vous compreniez que ce sont les dernières moules d’ici que vous mangez. Avec leurs conneries de digues, bientôt on bouffera que des moules d’Espagne, vous savez ces trucs mous et caoutchouteux qui ressemblent à des Malabar. Quand je pense que les Gafa payent pas d’impôts et que le gouvernement fait rien contre les évadés fiscaux et nous on est là comme des cons à trimer, à payer des impôts et à voir notre outil de travail détruit par des imbéciles et des incapables…
Marre de ces cons-là !”

Il est comme ça Romain, emporté, sans filtre, provocateur mais c’est aussi un chouette gars, attentif, attentionné et surtout le Maître incontesté de la Brasoucade.

Le port de Sète
Romain
Restaurant ”Les demoiselles Dupuy”

 

 

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