Jeudi 4 juillet, ça y est les filles sont arrivées.
En dépit du manque de confort sur Omer, elles aiment bien retrouver le « p’tit jaune » et nous, évidemment sommes aux anges !
Mahé qui est arrivée la première a illico réquisitionné la « couchette SNCF » qui une fois dépliée atteint la largeur pharaonique de 120 centimètres, ce qui pour Omer est une performance. Quant à Laura elle hérite sans broncher de la plus étroite.
Lorsque je la vois se pelotonner avec volupté sur la couchette la plus inconfortable du bateau, je me dis qu’elle a du être chatte dans une autre vie. Ce n’est pas un hasard si son horrible Miro, un vrai chat de gouttière, abuse de sa gentillesse sans vergogne… Laurence et moi nous partageons la couchette avant, large aux épaules, étroites aux pieds, basse de plafond, un vrai terrier…
Le lendemain nous décidons de quitter la marina d’Ajaccio où Omer rôtit comme un poulet à la broche pour aller dans la crique de Chiavari qui se trouve à quelques miles au sud de la baie d’Ajaccio.
Ceux qui naviguent et reçoivent de la famille ou des amis pour quelques jours savent combien il est parfois compliqué d’organiser un court séjour intégrant un peu de navigation mais si possible pas trop sportive afin de ménager le mal de mer des primo-arrivants, des mouillages pas trop remuants et si possible sans bateaux et des bains de mer si possible sans méduses…
Cette fois les deux premières conditions sont réunies.
Après deux heures d’une agréable navigation sous voile, nous mouillons l’ancre dans une jolie anse bien protégée avec pour seul voisin un grand et beau voilier, un Ahmel pour les connaisseurs.
Reste la troisième condition, les méduses.
Laurence et moi avons toujours une légère appréhension lorsque les filles viennent à bord car toutes les deux en ont une sainte horreur. Or il se trouve que quelques jours avant d’arriver à Ajaccio, nous nous sommes baignés dans une baie où elles étaient légions et particulièrement venimeuses. Évidemment nous ne leur avons rien dit. Aussi c’est avec une grande discrétion qu’à peine arrivé, j’entreprends de faire le tour du bateau, les yeux rivés sur les fonds à la recherche de petites tâches bleuâtres. Ouf rien à signaler !
Mahé qui est entrain d’enfiler son masque se tourne vers moi :
« Papa tu ne veux pas faire le tour du bateau pour voir s’il y a des méduses ? »
Je refais le tour et lui dis que la voie est libre.
Mahé : « Tu es sûr ?
Moi : Oui oui, tu peux y aller. »
Mahé pas tout à fait convaincue se tourne alors vers Laurence : « Maman tu ne veux pas te baigner avec moi, tu m’avais dit que tu voulais que je sois ton coach sportif. »
Mahé ou l’art de trouver un argument irrésistible pour ne pas se baigner seule…
Mahé entre alors dans l’eau à mi-corps par l’échelle de bain, scrute plusieurs fois l’état des fonds, enfile ses palmes, plonge dans l’eau et se met à tourner sur place comme un derviche tourneur pour être certaine qu’il n’y a vraiment aucune méduse. Une fois tranquilisée, elle s’assure que Laurence la suit et file dans un crawl impeccable. Pendant ce temps Laura saute dans l’eau avec la frite jaune en guise de coussin tandis que je pars vérifier la bonne tenue de l’ancre.
A peine revenu à bord, je vois venir un bonhomme corpulent assis sur un paddle. C’est le propriétaire du beau voilier qui vient nous rendre une petite visite.
Lui : « Ça fait longtemps que je n’avais pas vu une arrivée sous voiles aussi réussie. Il faut dire qu’on reconnaît souvent les bons marins à leur bateau et le vôtre est une référence, un first 30 ! Il a de gueule et il est aussi bien entretenu…»
Après tant de compliments comment ne pas être agréable, d’autant que le bonhomme a l’air sincère.
Moi : « Le vôtre est pas mal non plus…
Lui : Je suis sûr que vous ne vous attendiez pas à ce qu’un propriétaire d’un grand bateau vienne vous rendre visite ? »
Je lui réponds qu’en effet cela m’étonne.
Lui : « C’est navrant mais aujourd’hui la plaisance est coupée en deux, les grands d’un côté et les petits de l’autre…Moi quand un bateau est beau, il est beau, point final…»
Et voici comment notre conversation s’engage.
Le bonhomme en question s’appelle Jacques, il est bavard comme une pie si bien qu’au bout d’une heure je connais toute sa vie et surtout l’historique de son bateau. Il est si sympathique Jacques qu’au moment de partir je ne trouve pas le courage de refuser son invitation à venir boire l’apéro à son bord. Je sais que les filles n’auront aucune envie de venir car elles connaissent trop bien les soirées qui commencent à dix huit heures et se terminent à trois heures du matin.
Le soir venu, poussées par la curiosité, elles décident de venir avec nous tout en nous promettant de ne pas nous attarder.
Jacques commence par nous faire visiter son bateau, le carré tout de bois vernis, la magnifique cabine propriétaire, la salle des machines, les salles de bain etc. Nous sommes sincèrement émerveillés par le confort et le sentiment de sécurité que procure ce bateau.
Jacques : « Avec un bateau comme ça tu peux faire le tour du monde les yeux fermés, nous avons de quoi tenir pendant deux mois sans ravitailler.
Moi : mais comment vous faites pour l’eau ?
Jacques : J’ai un dessalinisateur qui me permet de faire cent litres d’eau douce à l’heure. Je dois avoir plus de mille litres d’eau et j’ai deux réservoirs…
Mahé : Elle n’a pas trop mauvais goût ?
Jacques : Non elle est très bonne, venez je vais vous la faire goûter, je viens de faire tourner mon « déssal » pendant une heure. »
A cet instant précis la même pensée traverse nos esprits. Omer n’est-il pas mouillé en amont du bateau et ne venons-nous pas de nous succéder tous les quatre aux toilettes qui ne sont pas raccordées à une cuve à eau noire mais directement dans la mer ? Nous avons à peine le temps de nous jeter un regard teinté d’une légère angoisse que Jacques tend à Mahé un verre d’eau bien transparente
« Merci » lui dit Mahé qui boit le verre d’une traite.
Mahé se tourne alors vers nous et nous dit « Elle est bonne mais car il y a toujours un mais… je trouve qu’elle a quand même un petit goût…»
Ce fut une très bonne soirée que les filles apprécièrent bien qu’elle se termina à trois heures du matin…





