« Seul le chemin connaît le voyageur »

Entrer dans le port de Bonifacio c’est un peu comme entrer dans la cathédrale de Chartres en passant par le trou de la serrure à condition que personne n’ait laissé la clé à l’intérieur !

C’est un peu compliqué mais nous avons réussi à le faire !

Explication : 

Ce matin nous décidons avec Laurence de partir tôt pour arriver à Bonifacio dans la matinée. Nous avons rendez-vous à déjeuner avec un ancien copain de l’école d’architecture de Laurence qu’elle n’a pas revu depuis des année et souhaitons ne pas arriver en retard.

A dix heures précises nous sommes à trois miles de notre destination et entamons notre manœuvre d’approche, cap au trente huit. 

Sur la carte GPS ce cap doit nous mener directement à l’entrée du port. Mais car il y a toujours un mais, dans la réalité ce cap nous mène tout droit sur un gigantesque yacht ou plus exactement un immeuble flottant de plusieurs étages.

Laurence : « Tu es sûr de ton cap ? »

Moi : « Ben… normalement l’entrée du port est exactement là où il y a ce Gros-Cul. »

Silence…

Quelques minutes plus tard nous comprenons que le Gros-Cul en question est si massif qu’il cache l’entrée du port, une fente étroite dans la falaise à peine visible. En nous approchant encore un peu plus, nous constatons que sa proue est déjà engagée dans la fente mais que le reste, la partie la plus haute et large, semble coincée exactement comme une clé dans une serrure…

En argot de marine la poupe d’un bateau, son arrière, se dit Gros-Cul, ce qui dans le cas présent se vérifie parfaitement. 

A côté de cet éléphant de mer, Omer est une souris et nous profitons de notre rapidité pour nous faufiler dans la fente et passer devant lui. 

L’entrée de ce bras de mer creusée dans la falaise ressemble vraiment à une cathédrale. Les hautes parois font penser à des voûtes célestes et les rayons du soleil qui fusent à travers l’étroite ouverture dans la roche semblent descendre tout droit d’un immense vitrail. 

Une fois passés l’entrée, nous suivons un bras de mer emprunté par un flot de bateaux qui entrent et sortent à une vitesse bien supérieure aux trois noeuds réglementaires. 

Parvenus à un coude nous voyons soudain plusieurs zodiacs foncer sur nous. A bord des gars du port nous font signe avec autorité de nous rabattre sur les côtés. Pensant qu’ils nous demandent de libérer le chenal pour laisser le passage à « Gros Cul », nous mettons immédiatement les gaz à fond pour parvenir au port avant lui lorsque soudain nous voyons surgir en face de nous un autre « Gros Cul » qui se dirige vers la fente où « Gros Cul n°1 » est déjà coincé. 

Cette fois nous sommes obligés de nous arrêter et de quasi nous «encastrer» dans la falaise pour laisser passer « Gros Cul n°2 ». Sitôt après nous remettons les gaz et arrivons enfin au port, pile au moment de la rotation des bateaux. 

Des petits zodiacs pilotés par de jeunes marineros intrépides foncent d’un bateau à l’autre, provoquant à chacun de leur passage des vagues qui chahutent Omer en tous sens. Au bout d’une bonne dizaine de minutes, un jeune gars vient enfin nous désigner une place.

Dans le port l’ambiance est montée d’un cran. Des centaines de badauds vont et viennent le long des quais, des serveurs-voltigeurs s’affairent d’une table à l’autre tandis que des vendeuses bronzées dansent sur les pas de porte des magasins. Soudain une puissante corne de brume retentit. Aussitôt les jeunes marineros font signe aux bateaux de s’écarter pour laisser passer, nous n’en croyons pas nos yeux,  « Gros Cul n°1 ! ». 

D’après les commentaires que retransmettent à tue-tête leurs talkie-walkies nous apprenons que « Gros Cul n°1 » fait quatre vingt dix mètres de long et que de mémoire d’homme, jamais un aussi grand bateau n’avait tenté de mouiller dans un port aussi étroit. 

La manœuvre est délicate. 

Après avoir effectué une rotation à la vitesse d’un escargot sous tranquillisant, « Gros Cul n°1 » mouille deux ancres et commence à reculer.

De chaque côté de ses flancs, un marin installé sur une petite nacelle sortie miraculeusement du ventre du bateau, surveille talkie-walkie en main la bonne tension des énormes chaînes tandis que le long des filières une armée de matelots veille à ce que le bateau recule droit. A l’arrière deux serveuses tirées à quatre épingles, jupes bleu marine, chemisiers blancs, cheveux retenus par une queue de cheval viennent apporter des cocktails orange à un couple avec un enfant. Lui la cinquantaine bedonnante, elle, la trentaine souriante, l’enfant, un enfant à qui je fais une grimace ce qui lui plaît beaucoup. 

Lorsque « Gros Cul n°1 » passe à côté de nous c’est à peine si le mât d’Omer atteint le pont du bateau. Nous n’avions encore jamais vu ça ! 

A côté de nous je remarque un voilier en aluminium type fabrication maison, entièrement peint en noir mat, massif, avec une grosse cheminée sortant du roof et un énorme drapeau avec une tête de mort en guise de pavillon national. A son bord un couple de zadistes entièrement tatoués, lui « redlocké » et elle le crâne rasé assiste à la manœuvre en compagnie d’une petite blonde sortie tout droit d’un magazine de mode. Drôle d’assortiment…

Le contraste entre « Gros Cul n°1 » où quelques matelots aux brushings impeccables sont déjà entrain de nettoyer les traces de boues laissées par les chaînes sur la coque et le bateau zadiste tout droit sorti de Mad Max où sèchent les slips et les petites culottes de l’équipage est saisissant.

Moi :« Vous venez d’où ?

Le zadiste : « De Toulon, on a mis quarante huit heures pour venir.

Moi un peu étonné : quarante huit heures ? 

Lui : On a attendu la queue d’une dépression pour partir. Au début on avançait bien et puis après pas un pet de vent pendant vingt heures. 

Moi : Et vous n’avez pas mis le moteur ?

Lui : Impossible, le bateau fait dix tonnes et j’ai un moteur de quinze chevaux, avec les vagues dans le pif autant dire que j’aurais reculé. 

Moi : Et vous allez loin comme ça ?

Lui : Je retourne sur le continent et après je repars, peut-être le tour du monde. C’était notre galop d’essai. Je viens tout juste de finir les travaux et de le mettre à l’eau.

La zadiste : Moi je rentre avec lui à Toulon mais après j’arrête, je suis clostro…

La petite blonde : Pour moi le voyage s’arrête ici, j’ai été malade pendant toute la traversée, j’ai cru que j’allais mourir. »

Il y a un proverbe qui dit « seul le chemin connait le voyageur. »

A méditer…

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