Une des vertus de la navigation et particulièrement au mois de juin est d’éviter le flot de touristes qui débarque chaque été sur l’île.
Mouillés au fond d’une petite anse bien abritée ou au pied d’une vielle tour génoise, seuls au monde, baignés par la lumière du soir et bercés par le chuchotement des vagues, nous avons souvent savouré ces moments de bonheur fragile et éphémère. L’harmonie du monde joue sa petite musique, nous enveloppe, et nous emporte au plus profond de nous-mêmes; et le temps d’un instant, sur la Grande Partition, nous avons la certitude d’être des petites notes de musique, au bon endroit, au bon moment.
Mais car il y a toujours un mais, à Bonifacio, c’est tout le contraire.
Les quais, les terrasses des cafés, les restaurants, les boutiques, les ruelles, les places, les escaliers, le monde entier semble s’être donné rendez-vous à Bonifacio et cet endroit exceptionnel, unique en son genre en deviendrait presque cauchemardesque.
Heureusement nous avons la chance d’être avec Damien.
Ami de Laurence de quarante ans, Damien est venu à Bonifacio pour préparer son diplôme d’architecte sans intention d’y rester. Le maire de l’époque trop heureux de voir un jeune garçon s’intéresser à son village décide de l’aider à s’installer pour son court séjour et lui fournit un petit espace situé en plein cœur de la vieille ville.
Quarante cinq ans plus tard Damien est toujours là.
Curieux, cultivé, tour à tour sculpteur, architecte, grand amateur d’art et de beaux jardins, Damien est un caméléon qui évolue avec aisance dans tous les milieux de la société bonifacienne. Plus corse que corse quand il le faut, il sait aussi se montrer prudent et garder ses distances avec les mille et une intrigues qui émaillent la vie de sa ville. Il réussit même le tour de force de résister aux multiples pressions d’une « certaine organisation » qui souhaitait récupérer son appartement creusé à même la falaise, face à la mer.
Avec ses différents niveaux, ses recoins, ses alcôves, son bassin intérieur, ses sculptures en forme de sexe féminin réalisées par lui et ses balcons surplombant la mer, Damien a transformé et agrandi un petit espace quelconque en palais des mille et une nuits; de quoi attirer les convoitises…
Mais ces particularismes ne s’arrêtent pas là.
Ermite et jet-setter, il peut tout à la fois passer des journées entières avec pour seule compagnie la solitude de ses plantes exotiques ramenées de ses différents voyages et passer des nuits endiablées dans les clubs huppés de l’île.
Croisés au cours d’une même soirée à un dîner dans un grand restaurant invité par Damien, les amis de Damien, une célèbre héritière au charme désuet et aux bagues énormes, en plein redressement judiciaire, un couple d’herboristes de renoms, capables de disserter pendant des heures des différences entre la Leucanthemum atratum et la Lecanthemum catalaunicum; puis plus tard au cours d’une fête de village dans la montagne, une tablée de vieux corses aux visages burinés et aux mains caleuses que Damien a salué avec révérence avant de rejoindre une bande de jeunes corses avec lesquels il s’est déhanché jusqu’au bout de la nuit.
Le lendemain de cette soirée animée, nous nous sommes quittés en nous faisant la promesse de nous retrouver dans une célèbre boîte de nuit en Sardaigne inconnue de nous mais bien connue de lui, le « Ritual », sorte de caverne troglodyte 2.0, la Mecque de tous les clubbers et clubbeuses qui se respectent.
Nous qui sommes toujours en quête d’adresses utiles et qui aimons sortir des sentiers battus, cette fois nous savons où aller !
« Ritual » nous voilà !


