Aujourd’hui vingt et un juillet, c’est mon anniversaire et comme cadeau, nous allons emprunter les Bouches de Bonifacio.
Certains navigateurs diront que ce détroit d’à peine onze kilomètres est un cadeau empoisonné, d’autres un mur infranchissable ou un piège, bref les Bouches de Bonifacio comme tous les endroits soumis aux vents violents ont mauvaise réputation.
Bon nombre de plaisanciers souhaitant rejoindre la Sardaigne se sont retrouvés piégés à Bonifacio attendant pendant des jours que le vent aille souffler ailleurs.
Ce matin le vent est régulier, la mer légèrement moutonneuse, le ciel clair, l’air translucide.
Au sortir du port de Bonifacio, nous hissons la grande voile et déroulons le génois. Laurence coupe le moteur. Instant magique où le bruit infernal du génie humain, ce grondement de pistons, de bielles, de vibrations, de cliquetis métalliques cesse, laissant place au silence de la mer, où la force irrésistible du vent dans les voiles libère la puissance de la carène et propulse Omer en avant comme un cheval à qui on lâche la bride.
A quelque miles sur notre gauche nous apercevons les îles Lavezzi et devant nous la Sardaigne.
Nous sommes au bon plein, une allure proche du vent que nous apprécions particulièrement. Omer qui a été conçu par l’architecte naval André Mauric également concepteur de Pen Duick VI, le voilier avec lequel Tabarly remporta la célèbre transat de 1976 est un bateau réputé pour ses qualités nautiques, surtout aux allures proches du vent. Si celui-ci reste stable nous pourrons garder toute la toile et continuer à filer six noeuds. Ah ah !
Le bateau gîté, le vent qui siffle dans les haubans, la barre un peu dure, le sillage bien dessiné, une belle moustache à l’avant, ça y est, l’aiguille est dans le rouge, Sardaigne nous voilà !
Mais car il y a toujours un mais, pourquoi ce gros bateau à moteur qui nous a doublé il y a à peine deux minutes n’est-il déjà plus qu’un point à l’horizon et pourquoi les îles Lavezzi sont-elles toujours aussi lointaines ?
La vitesse en bateau est décidément une chose étrange, même « excessive », elle permet au pilote de piquer un petit somme en toute sécurité !
C’est donc à la vitesse échevelée de dix kilomètres heures que nous arrivons à Porte Pozzo, notre destination.
Porto Pozzo n’est pas un port au sens classique du terme avec des quais, une capitainerie, un chenal d’accès mais plutôt un bras de mer aménagé pour accueillir de petits bateaux.
Ça tombe bien, nous en sommes !
Nous nous amarrons à des pontons flottants fixés en forme de croix et retenus par des grosses chaînes à des blocs de béton au fond de l’eau. L’ensemble est assez branlant et pas très rassurant mais le bras de mer semble bien abrité du vent. Pour l’instant nous sommes les seuls visiteurs.
Laurence qui avait repéré cette destination pour « son restaurant sympathique dans un cadre sauvage » dixit internet semble satisfaite. Le cadre est en effet sauvage et le restaurant, juste en face de nous.
Nous nous changeons, mettons l’annexe à l’eau et en quelques coups de rames nous voici face à une maisonnette en bois que nous avions pris pour un cabanon de pêcheurs et qui est en fait la capitainerie. Une dame fort accueillante nous annonce que si nous allons au restaurant, la nuitée sera gratuite et que nous aurons droit à une réduction de trente euros sur la carte. Les choses s’annoncent bien.
Le restaurant étant déjà complet un serveur nous emmène vers la partie lounge, une grande pelouse verte aménagée avec de belles tables en bois au dessus desquelles sont tendues des toiles écrues qui flottent dans le vent.
Le serveur nous fait signe de nous installer sur de confortables rocking-chairs en attendant qu’une place se libère. Autour de nous des couples bronzés, élégants et décontractés sirotent un apéritif orange servi dans de grands verres ballons tandis que des enfants courent en tous sens. Nous commandons deux de ces magnifiques cocktails et savourons ce moment de fin de journée, bercés par les rires des enfants et les conversations animées.
En regardant Laurence dans la lumière du soir, le souvenir de notre premier voyage en amoureux me revient à l’esprit.
Nous avions pris la mer sur un ferry pour rejoindre l’île de Malte où nous avions loué une chambre dans un petit hôtel avec une terrasse surplombant le magnifique port de la Valette. Dans cet hôtel au charme désuet, sur cette petite terrasse où nous avions pris l’habitude de prendre l’apéritif, nous étions comme des Princes.
C’était en septembre 1983, c’était hier !

