Après deux années d’absence, nos retrouvailles avec Omer commencent par une petite épreuve.
Oubliée l’exiguïté légendaire du bateau, oubliées les contorsions auxquelles nous devons nous livrer pour nous rendre d’un point à un autre, oublié le jeu de Tétris dès qu’il s’agit de sortir un objet d’un coffre ou de l’y remettre, oubliée l’étroitesse du cockpit qui rend les manœuvres de voiles compliquées. Et pour couronner le tout, oubliées les lectures approfondies des fichiers météo.
Notre première sortie en mer doit nous mener à la cala Coloritza dans le golfe d’Orosei.
A peine sortis du port, nous constatons que le vent est nettement plus fort que prévu. Nous filons vent arrière sept, huit, voire neuf noeuds. En d’autres temps cette petite nave musclée ne nous aurait pas déplu mais pour une première c’est un peu rude d’autant que la cala où nous devons mouiller n’est pas protégée du vent du Sud-Est. C’est balaud, le vent souffle précisément du Sud-Est…
Alors que faire ? Demi tour ? Back to Arbatax ? Il n’en est pas question. Aller à la Caletta à neuf heures de navigation, il n’en n’est pas question non plus. La seule solution est d’espérer que le vent souffle moins fort le long des côtes et que nous pourrons quand même mouiller à cala Coloritza.
Nous nous dirigeons donc vers la côte en remontant au vent, Omer gîte à plein tube, nous sommes surtoilés, le loch s’affole et nous aussi. Nous décidons envers et contre tout de serrer les fesses, la côte est proche.
En effet un quart d’heure plus tard nous arrivons en trombe à la cala Coloritza. Par chance le vent est en effet moins fort et nous décidons de mouiller pour la nuit tout en sachant qu’elle ne sera pas bonne car une houle bien formée fait rouler le bateau.
La vue est magnifique. A gauche un rocher en forme de crayon s’élève dans le ciel tandis qu’une plage de sable fin souligne d’un trait clair les falaises qui tombent dans l’eau. Des parasols forment un collier multicolore, le ciel est bleu, l’eau vert émeraude, la cala Coloritza porte bien son nom !
Après un coup de chauffe comme celui que nous venons de connaître, un bain dans cette eau translucide où une myriade de Sars semble jouer avec les reflets jaunes d’Omer est un délice et une récompense bien méritée.
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes mais car il y a toujours un mais, nous constatons que les toilettes ne fonctionnent pas. En l’occurrence c’est l’orifice de sortie d’Omer qui semble bouché, c’est embêtant, c’est même très contrariant. Pourtant il m’avait semblé que la vanne que j’avais pris la précaution d’asperger de DW40 avant notre départ était en parfait état de marche.
Après plusieurs tentatives pour faire fonctionner la vanne, force est de constater qu’il va falloir trouver un moyen pour déboucher ce foutu orifice . En l’absence de goupillon, j’avise une baguette chinoise en bois, vestige du temps où nous nous faisions des sushis de maquereaux en Bretagne.
Baguette chinoise, baguette magique ?
Laurence qui a un esprit beaucoup plus pragmatique que le mien et qui surtout connaît mes chances de réussite dans ce genre d’entreprise hasardeuse ne semble pas partager mon enthousiasme et me signale que je risque fort de compliquer la situation en coinçant irrémédiablement la baguette dans l’orifice en question. Je fais mine de ne pas écouter ses conseils avisés et ni une ni deux saute dans l’eau et plonge la baguette dans l’orifice bouché.
Je sens bien comme une résistance. Je gratte, je touille. Il semblerait qu’après deux années la nature ait fait son oeuvre et qu’une matière autrefois molle et flexible… se soit fossilisée et incrustée contre les parois de l’orifice. Je touille, je gratouille. Rien n’y fait. La fossilisation est plus forte que ma baguette magique et après quelques tentatives infructueuses, je suis bien obligé de remonter à bord et d’inventer un nouveau stratagème pour régler le problème.
Je décide alors de scotcher deux baguettes ensemble pour augmenter leur longueur et pouvoir ainsi aller au bout de l’orifice.
Laurence me regarde faire avec un air encore plus perplexe :
—Tu sais comment ça va se terminer… Avec ton système branlant cette fois tu risques de coincer les deux baguettes dans la vanne…
Toujours aussi peu réceptif à ses conseils me revoilà masque sur le nez avec mes deux baguettes scotchés l’une à l’autre prêt à y retourner. Avant de plonger je dis à Laurence :
— Quand je frappe une fois contre la coque, tu fermes la vanne et quand je frappe deux fois tu l’ouvres.
— Comme tu veux…
Parvenu sous le bateau, je frappe une fois toc contre la coque et enfonce les deux baguettes qui viennent en butée contre la vanne qui est fermée. Je touille, je gratouille. Je reprends ma respiration, replonge frappe deux fois, toc toc. Je touille, je gratouille. Rien ne se passe. Je frappe une fois toc sans succès, puis une deuxième fois toc toc. Je touille, je gratouille. Soudain la première baguette s’enfonce complètement. J’y suis presque ! Je touille, je gratouille, je trifouille ! A bout de souffle, je sens une résistance qui cède, les deux baguettes s’enfoncent jusqu’à la garde et deux secondes après plus rien. Je tente alors de retirer mes baguettes, HORREUR la deuxième est restée coincée dans la vanne !
Je remonte penaud sur le bateau.
A ma tronche Laurence a compris mais ne dit mot.
Je repars avec mon indispensable Leatherman et à nouveau me voilà trifouillant l’orifice pour tenter d’attraper la baguette coincée. Après plusieurs tentatives, je finis par y arriver. Ouf l’honneur est sauf !
Nous faisons alors un essai de remplissage et vidage de la cuvette des toilettes et cette fois VICTOIRE ça marche !
Certains diront que que j’ai eu de la chance, moi je dirai plutôt que cette petite mésaventure est ce que l’on appelle modestement « Le triomphe du génie humain sur la matière…»
Et quelle matière !


