En attendant notre nouveau Menneken-Pis

En attendant notre nouveau «Menneken-Pis», nous avons fait la connaissance de nos voisins de ponton.

Un matin nous voyons arriver deux jeunes sardes maigrelets ployant sous le poids de deux énormes cartons. D’après les inscriptions sur les cartons, il s’agit d’un climatiseur et d’une annexe. Évidemment le carton le plus lourd et le plus volumineux, le climatiseur, est porté par le gars le plus maigre.

Alors que le bateau voisin du nôtre était jusqu’à présent inoccupé, nous voyons un grand type en sortir suivi par une grande nana. Lui, chauve, blanc comme un cachet d’aspirine, la quarantaine bedonnante, elle, la quarantaine aussi, blonde, mince. A coup sûr pas des sardes…

En voyant arriver les deux gars, le grand chauve lève les bras en signe de bienvenue et manifeste son contentement dans un charabia qui semble être un mélange d’italien, d’anglais et sans doute de danois, le bateau étant immatriculé à Copenhague.

— Ciao ciao, buono, good, buono, klimaanlaeg de tankommer lige i tide, grazie, grazie !

Le petit maigrelet repart illico et revient quelques minutes plus tard portant à nouveau un énorme carton, cette fois c’est le moteur de l’annexe.

Ouf tout se passe bien.

Le grand chauve est tout excité. Il sort alors le dinghy et le moteur de leur carton respectif. Puis il entreprend d’emporter à bord le climatiseur sous le regard inquiet de sa nana qui se demande s’il ne va pas passer par dessus bord.

Nous partons faire nos courses et retrouvons notre grand chauve dans son tout nouveau dinghy. Il a l’air très satisfait de son nouvel achat mais sa nana qui le regarde s’affairer depuis le cockpit ne peut s’empêcher de se moquer de lui. Elle semble lui dire :

— Tu sais mon chéri que tu es beaucoup trop grand pour ce dinghy, je me demande si tu n’aurais pas du acheter la taille au dessus et puis tu devrais te méfier du soleil, ça tape fort aujourd’hui !

En vérité le gars ressemble au gros Gérard D. qu’on aurait tenté de faire rentrer dans un bateau gonflable pour enfant mais car il y a toujours un mais, le plus grave est qu’en deux heures il a viré de couleur passant de l’ultra blanc au rose saignant, jusqu’à y compris le sourire du maçon…

Voyant que Laurence et moi l’observons il s’adresse à nous :

— Good boat, cheap, internet good good

— Nous (très danois) : Ya ya

Il nous montre alors son moteur flambant neuf :

— Internet, cheap, 300 euros, good good, and very light, only seven kilos. Look look !

Je m’approche du moteur et je look look. Il a l’air drôlement bien son petit moteur very cheap et very light. Le mien fait 17 kilos et m’a couté au moins 1.200 balles. Il sont forts ces danois…

Je dis au gars qu’il a l’air d’avoir fait une drôlement bonne affaire et dans la foulée je fais une photo du moteur en question pour le googler et être sûr que le gros Gérard ne me raconte pas du pipeau danois.

Nous faisons les présentations. Gérard s’appelle en réalité Yoan et sa compagne Christelle. Tous deux parlent anglais avec un accent danois tellement prononcé que je suis obligé de leur faire répéter trois fois leurs prénoms.

Je me tourne alors vers Yoan et lui demande si son moteur very cheap marche bien.

— I vill start it now, look, look

Il prend alors la poignée du démarreur et tire sur la ficelle mais car il y a toujours un mais le moteur reste coi.

Il recommence à plusieurs reprises mais rien n’y fait, le moteur ne démarre pas.

— Are you sure that you put gazoline ?

— Are you killing me ?

— I was joking…

— I have to vork on it, you vill see it vill vork

— Ok see you later

— Come and have a drink on board tonight

— OK thanks, good luck

Pauvre Yoan, il aura passé l’après-midi dans son dinghy, penché sur son moteur, le mode d’emploi dans une main et le démarreur dans l’autre, tirant sur la ficelle à en perdre haleine, tout cela sous un soleil de plomb transformant son crâne chauve en un cul de babouin à qui on aurait donné une fessée.

Le soir nous nous rendons à leur bord pour boire l’apéritif.

— Did you succeed with your engine ?

— Ya ya it vorks very vell

— And what was the problem ?

— The problem vaz…

N’ayant rien compris à la suite de son explication, il m’est donc impossible de la retranscrire ici.

Notre soirée fut ponctuée de nombreux «ya ya» et de hochements de tête, signes que ni les uns ni les autres ne comprenions grand chose à la conversation.

On a coutume de dire que les «gens de mer» parlent tous la même langue, cet apéro en fut un exemple criant…

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