Quatre choses à la fois

Après avoir passé deux semaines en bateau dans un confort très relatif et à une vitesse proche de celle de la tortue, être confortablement assis dans un train et voir les paysages défilés à toute allure est une expérience quasi exotique.

Notre destination est Rome.

En arrivant à la gare nous nous séparons de Laura qui doit se rendre à l’aéroport pour rentrer à Bordeaux et allons à notre rendez-vous avec Attilio, un cousin romain de Laurence.

Nous sommes entrain de l’attendre à une terrasse de café donnant sur une avenue bruyante lorsque nous entendons des coups de klaxon répétés venant d’une petite Lancia avec à son bord un gars en grande conversation téléphonique. C’est Attilio qui d’une main tient son téléphone et de l’autre nous fait de grands signes pour que nous le rejoignons. Sa voiture est encombrée de cartons, de fleurs, de vêtements, de rubans etc.

Demain il fête le baptême de sa fille Sarahi qu’il vient tout juste d’adopter avec sa femme Martha. Cela fait au moins deux ans qu’ils ont fait une demande d’adoption et tout juste un mois que la petite Sarahi a enfin quitté l’Equateur pour vivre avec eux.

Demain est donc un grand jour pour Attilio et nous sentons à son excitation que ce baptême est l’affaire de sa vie.

En chemin il nous confie qu’il est vraiment touché par notre présence, d’autant qu’Adrien qui est son filleul arrive le lendemain avec Noah. Nous sommes les seuls du côté de sa famille française à être venu. Son père décédé était italien et sa mère française.

Attilio est comme tous les italiens un bavard impénitent mais ce qui est amusant chez lui est qu’il parle un français impeccable avec les intonations et le débit des Italiens.

Tandis qu’il conduit tout en nous parlant ou plus exactement tandis qu’il nous parle tout en conduisant, il ne cesse de s’interrompre pour laisser des messages oraux à sa mère et à Martha, tenant son téléphone à l’horizontal.

Je n’avais encore jamais rencontré un gars capable de faire ces trois trucs en même temps ou plutôt devrais-je dire ces quatre trucs car chacune de ses phrases est ponctuée d’un coup de klaxon. Évidement il est formellement défendu en Italie de téléphoner tout en conduisant mais en réalité tous les italiens conduisent comme lui, volant dans une main, téléphone à l’horizontal dans l’autre. `

Durant le trajet il n’aura cessé de laisser des messages à sa mère pour l’avertir qu’il passera la prendre à dix neuf heures, à sa femme pour lui dire qu’il a bien été cherché le gâteau pour le baptême, à sa sœur pour qu’elle n’oublie pas le champagne, à nouveau à sa mère pour lui rappeler de ne pas sortir sans avoir pris ses médicaments ou pour lui confirmer qu’il avait réservé le restaurant à dix neuf heures trente etc etc.

Nous vérifions ainsi que la France est bien le pays de l’écrit et l’Italie celui de l’oral… Textos d’un côté, messaggi de l’autre…

Comme prévu, nous passons à dix neuf heures prendre Daniele sa maman et rejoignons Martha et Sarahi dans un restaurant au bord de la via antiqua où Attilio a ses quartiers.

L’endroit tout en bois est chaleureux, Martha semble un peu intimidée par notre présence ce qui n’est pas le cas de Sarahi qui à peine étions-nous arrivés, s’assoit sur les genoux de Laurence et commence à lui raconter sa vie dans un sabir mâtiné d’espagnol et d‘italien. Elle est vraiment adorable avec ses yeux qui se plissent comme deux amandes quand elle sourit et sa petite bouille toute ronde d’indienne sortie tout droit de la forêt amazonienne.

Le dîner achevé Attilio nous conduit à la résidence où vit sa mère Noëlle. Une de ses voisines, absente pour quelques temps a accepté de nous prêter son appartement.

Jusqu’à présent tout s’organise pour le mieux.

Mais car il y a toujours un mais, au moment de pénétrer dans la résidence, nous croisons quatre carabinieri munis de lampes torche. Ils semblent chercher quelqu’un.

Aussitôt Attilio leur demande ce qu’il se passe.

Les carabinieri lui disent qu’un habitant leur a signalé une infraction dans la résidence.

D’un geste celui qui semble être le chef éclaire un balcon au premier étage dont la porte-fenêtre a été fracturée. Horreur, il s’agit de l’appartement que nous devons occuper.

Les carabinieri n’ayant pas d’échelle, c’est Attilio qui tente d’accéder au balcon en se hissant sur le toit d’un abri jardin voisin. En vain. Le chef des carabinieri appelle alors les pompiers.

Attente, longue attente, très longue attente.

A une heure et demie du matin arrive une troupe de six pompiers. Des pourparlers s’engagent alors entre carabinieri et pompiers pour savoir comment accéder au balcon. Finalement l’un des pompiers muni d’une hache monte à l’échelle. Nous craignons le pire. Par chance le voleur est

parti et le pompier nous indique que la voie est libre.

En fait le voleur qui finalement n’a rien volé a du être aussi surpris que nous en pénétrant dans l’appartement. Les murs sont tapissés de valises en carton peintes avec des motifs humoristiques représentant des clowns, des animaux bizarres ou encore des personnages tout droit sortis d’un conte pour enfants. Nous apprenons alors que la propriétaire est une marionnettiste connue qui utilise toutes ces valises en carton comme éléments de décor. Mais le clou de ses spectacles est qu’elle manipule ses marionnettes avec ses pieds.

Pour ne pas être vu par le public elle est habillée tout en noir et se tient allongée dans l’obscurité, les pattes en l’air, une marionnette au bout de chaque pied. Elle a ainsi les mains libres pour souffler dans une trompette, actionner un pouët pouët et surtout farfouiller dans ses valises pour en sortir les personnages de ces histoires.

Une sorte de femme orchestre qui elle sait faire bien plus que quatre choses à la fois…

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