En nous quittant la veille Attilio nous avait dit :
J’ai une copine qui passera vous prendre à neuf heures pour vous emmener à l’église, surtout soyez ponctuel !
Nous nous attendions à ce que la copine en question soit une jeune italienne mais car il y a toujours un mais la personne qui vient se garer à l’entrée de la résidence est une vieille dame accompagnée d’une copine du même âge. Pas pour nous…
Au bout de quelques minutes, voyant qu’aucune copine italienne ne se présente, je frappe au carreau de la petite voiture et demande à ces dames si elles vont au baptême de Sarahi.
— Ah c’est vous les Français ! Come in, je ne m’attendais pas à venir chercher un couple de retraités !
Je n’ose lui dire que ma surprise est au moins égale à la sienne et Laurence et moi prenons place dans la voiture.
La jeune italienne au volant est en réalité une anglaise d’un âge certain à l’accent français à couper à la tronçonneuse, une grande bringue toute en os, un peu trop maquillée, qui démarre sur les chapeaux de roues.
— Lets go falks !
Sa copine est allemande, parle très bien le français mais elle aussi avec un fort accent.
La conversation s’engage. Présentations, noms, prénoms, origines, liens de parenté avec la famille de Sarahi.
Question : Les Langues O’ organisent-elles des cours accélérés de français parlé par des étrangers en français ?
Réponse : Il fallait y penser avant…
Malgré nos efforts nous avons le plus grand mal à comprendre les réponses de ces dames qui de surcroît se coupent sans cesse la parole, l’une commençant une phrase et l’autre la finissant. Une cacophonie stéréophonique parasitée par les pétaradements et les soubresauts de la voiture que notre vieille anglaise conduit à la manière de Lewis Hamilton ou Jackie Sewart.
Finalement nous découvrons que la copine anglaise est une vieille amie de boulot de Noëlle, la maman d’Attilio. Elles se sont connues à leurs débuts à la FAO et ne se sont plus quittées. Sa voisine allemande est également une copine de longue date qui a fini par s’installer en Italie. Les deux amies vivent à Ostia.
— Il faudra venir boire le thé nous propose la copine allemande.
— Personnellement je préfère le whisky répond l’anglaise en nous faisant un grand clin d’œil dans le rétroviseur.
Elle est vraiment so British cette copine anglaise, un brin excentrique, apparement bonne vivante et maniant l’humour avec beaucoup de second degré.
Nous arrivons en trombe à l’église. Dérapage incontrôlée, frein à main, portières qui claquent, en deux temps trois mouvements nous voici sur le parvis de l’Eglise où nous retrouvons Attilio, Martha, Sarahi, Noëlle, Adrien et Noah.
Tout le monde est sur son trente et un. Vestes et chemises impeccables, gilets, pantalons à pinces, robes ou ensembles ajustés, talons aiguilles. En Italie, la sape ça ne rigole pas.
Laurence a réussi à se trouver une tenue de circonstance par contre je me sens un peu décalé avec ma chemise en lin qui stagne depuis trois semaines au fond d’une bannette d’Omer et que je me suis en vain évertué à défroisser avec la main. Quant à mes chaussures bateau et ses ronds de sel qui datent de nos croisières en Bretagne, il y a des lustres, elles font pâle figure à côté de toutes ces magnifiques paires de pompes en cuir dans lesquelles on pourrait se mirer.
Sur le parvis de l’église la famille et les amis échangent des nouvelles des uns et des autres.
Nous retrouvons avec plaisir la famille d’Attilio, sa sœur Emma et ses deux fils qui ressemblent à deux anges tout droit sortis d’un tableau de Michel-Ange.
Sarahi est adorable dans sa robe blanche. Elle aimerait bien chahuter avec ce diablotin de Noah mais sa maman la tient d’une main ferme pour ne pas qu’elle se salisse.
A onze heures la cloche sonne, tout le monde rentre dans l’église.
L’office religieux est chaleureux mais un peu long. Les petits commencent à s’impatienter, les parents leur font les yeux noirs tandis que les anciens contemplent cette marmaille bruyante avec attendrissement.
La star du jour Sarahi est un peu perdue lorsqu’il lui faut s’avancer vers l’autel pour être baptisé. Inquiète d’être l’objet de tous ces regards braqués sur elle, elle se retourne plusieurs fois pour être sûr que sa maman la suit bien.
Une pichenette d’eau bénie sur le front, un signe de croix et hop la voilà qui peut enfin sauter de banc en banc poursuivie par Noah qui malgré ses rugissement de lion a bien du mal à la rattraper.
La fête continue dans un restaurant de la Via Appia Antica où un grand banquet a été installé dans le jardin.
Nous prenons place à côté de nos deux copines. Apparement la vieille dame anglaise apprécie aussi le Spritz.
— Cet apéritif est idéal pour étancher la soif et il fait très chaud aujourd’hui… don’t you think so ?
— Yes sure, would you enjoy another one ?
— Ce n’est pas raisonnable mais c’est tellement bon de ne pas être raisonnable…
Le repas est composé d’une entrée, d’un entre-met, d’un plat, de fromages, de desserts, tout cela arrosé de vin blanc, rouge, rosé…À côté de ce festin, nos repas de baptême feraient presque pâles figures.
Vers dix sept heures Attilio nous propose de continuer la fête chez sa sœur Emma qui a un grand jardin.
— J’ai quatre bouteilles de champagne qui nous attendent.
Nous avons beau lui dire que notre éthylotest est très largement dans le rouge, cet entêté d’Attilio ne veut rien savoir et nous fait un grand numéro de Commedia dell’ Arte nous faisant comprendre que nous les Français devrions savoir que le champagne n’a jamais soûlé personne, que c’est le plus beau jour de sa vie après son mariage et qu’il ne faut pas gâcher la fête, que Dieu lui est témoin, la présence de Sarahi parmi nous aujourd’hui est un miracle, elle qui n’a plus de parents et qui était vouée à une vie misérable etc etc.
Evidement nous cédons, nous buvons moult coupes de champagne et rentrons à notre appartement accompagnés par notre vieille anglaise qui refait pied au plancher le Grand Prix de Monte-Carlo.
En arrivant elle se tourne vers nous avec un grand sourire :
— Comment dites-vous déjà en France, ah oui blanc sur rouge, rien ne bouge !






