Une nuit particulière

Après une nuit peuplée de rêves divers et variés, Sébastien, Nicolas et moi quittons le port de Salernes pour une navigation d’environ cent miles.

A raison de cinq noeuds par heure nous avons prévu d’arriver à Lipari la plus grande des îles éoliennes au nord de la Sicile dans l’après-midi du surlendemain.

La météo annonçant du vent dans la matinée nous commençons donc notre navigation au moteur.

Peu à peu la côte disparaît et nous nous retrouvons au milieu de l’eau, seuls.

Nous sommes bercés par le doux ronron du moteur lorsque soudain nous apercevons des dauphins en approche.

La mer est à peine ridée par le sillage d’Omer et pour la première fois nous avons tout le loisir de les filmer sous toutes les coutures. Ceux-ci sont petits et très vifs et semblent bien s’amuser avec l’étrave du bateau.

C’est toujours une émotion de voir des dauphins venir nous rendre visite au milieu de l’immensité bleue de la mer. Leur présence bienveillante est rassurante et l’on voudrait les voir évoluer à côté de nous pendant toute la traversée. Seulement voilà, après nous avoir salué, ils disparaissent comme ils étaient venus, sans laisser de traces, la classe !

Le vent comme prévu se lève en fin de matinée et nous faisons quelques heures de voile avant de rallumer à nouveau le moteur.

La nuit tombe.

Vers trois heures du matin, alors que Sébastien et moi sommes de quart, l’alarme AIS nous signale un bateau de trois cent trente mètres de long transportant des matières toxiques symbolisées par des grosses têtes de mort… Il n’avance qu’à dix noeuds mais se retrouve très vite proche de nous. Il est tellement grand qu’il est impossible de distinguer l’avant de l’arrière. Sébastien se demande si nous sommes vraiment sur la bonne route car ses feux de position sont difficiles à voir. Je lui dis de faire confiance à l’AIS et finalement le monstre passe à côté de nous et disparaît bientôt comme il était venu.

Nous pensions être tranquilles lorsqu’une nouvelle alarme AIS retentit. Cette fois c’est un bateau de croisière transportant des passagers qui s’annonce au lointain. Lui aussi fait trois cent mètres de long mais cette fois il file à vingt noeuds. Il est illuminé comme un sapin de Noël. Ses feux de position disparaissent sous la guirlande tendue d’un bout à l’autre du bateau et là encore il est impossible de distinguer son avant de son arrière.

En principe l’AIS est d’une précision redoutable. Il indique, le nom du bateau, son cap, sa vitesse, sa taille etc et il suffit de lui faire confiance pour éviter toute collision. Nous aurions donc du le croiser sans encombre mais car il y a toujours un mais, l’erreur humaine, en l’occurrence la mienne n’est jamais loin.

A la dernière minute, pensant avoir distingué son avant et son feu rouge sur son bâbord je décide de changer de cap. Sébastien n’est pas convaincu mais ne dit mot.

Faisant confiance à ma vue et à mon intuition je persiste dans mon choix. Le croisiériste se rapproche dangereusement, Sébastien se tourne alors vers moi :

— T’es sûr de ton cap, j’ai l’impression qu’il vient droit sur nous et qu’on est entrain de lui couper la route !

Moi :

— oui oui t’inquiète, je gère.

A peine ai-je dit cela que le bateau allume une violente lumière blanche sur son tribord à deux reprises me signalant que je dois passer à bâbord. Je comprends alors ma méprise et change de cap in extremis en mettant les gazs à fond comme si Omer allait soudain filer trente noeuds alors qu’il dépasse rarement les sept noeuds.

Finalement nous croisons le monstre en serrant les fesses.

Ouf il est passé !

A chaque fois la même énigme revient : Comment dans cette immensité vide qu’est l’océan faut-il que deux bateaux qui font des caps différents et qui vont à des vitesses différentes se retrouvent inévitablement en route de collision ?

La réponse que je préfère est celle de Sébastien :

— Te casse pas la tête à faire des calculs, dans la vie il y a toujours un personnage qui vient faire péter l’emmerdomètre que ce soit pour réparer un tuyau qui fuit, changer une ampoule ou mettre un gros cul sur ta route en pleine nuit; ce personnage je le connais bien, c’est le «Dieu des casses couilles», il est toujours sur ton chemin…

Le Dieu des casses couilles se manifestera encore deux fois dans la nuit mais cette fois Sébastien et Nicolas pouvaient être sereins : tandis que je ronflais comme un bienheureux dans ma bannette, ils admiraient sereinement la magnifique Voie lactée tout en faisant confiance au Dieu des anti casse couilles : notre AIS préféré.

Au large de Salernes
Le matin Sébastien nous soignotte…
Et le soir il fait soif !
C’est cliché mais on ne s’en lasse jamais
330 mètres de produits toxiques…
Message AIS

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