Pipicaca

Terre en vue !

Après vingt six heures de navigation, nous apercevons au lointain les îles éoliennes.

En principe la vue magnifique du Stromboli encore nimbé de bleu en cette heure matinale et dont les timides fumeroles semblent encore prisonnières des bras de Morphée aurait du nous porter à la poésie et faire l’objet de quelques vers inspirés sur le fil familial WhatsApp que Sébastien a créé spécialement pour cette navigation et qu’il a joliment appelé l’Odyssée d’Omer. Mais car il y a toujours un, ce matin-là la poésie ne règne pas à bord. Et pour preuve voici ce que Sébastien a écrit sur notre fil de discussion et que je retransmets intégralement avec ma réponse.

Sébastien :

« Cette petite plateforme en bois à la poupe d’Omer ne sert pas seulement à l’exécution d’infortunés marins condamnés par le « Commandante », elle fait aussi office de toilettes de mer.

Mais leur usage est réservé aux braves capables de se maintenir à bord d’une main, une performance de haut vol sur un navire qui tangue et qui roule comme une danseuse de jerk alcoolisée, tandis que l’autre main doit se débrouiller seule pour réaliser toutes les manipulations nécessaires. Un numéro d’équilibriste dont le teck et le short font généralement les frais.

Avec Nicolas, nous sommes passés maîtres en la matière et nous nous sommes lancés un défi : le challenge « zéro goutte ».

Tout à l’heure, un bellâtre italien aux commandes de son gros runabout a voulu impressionner sa ragazza en frôlant l’arrière d’Omer. Mal lui en a pris car j’étais justement en pleine tentative de record. Le transalpin, beau joueur, m’a salué d’un pousse levé avant de disparaître dans un rugissement de moteur; mais j’ignore si la ragazza a apprécié elle aussi ma dextérité. »

Ma réponse :

« Moi sur Omer j’ai depuis longtemps renoncé à ce genre d’acrobaties au risque de tomber à l’eau et mourir la braguette ouverte ou pire de finir ce numéro d’équilibriste avec une tâche douteuse à l’endroit de l’entrejambe… C’est pourquoi je préfère exprimer mon côté féminin et aller poser mon séant ou fondement c’est selon, dans les toilettes, au risque d’oublier, ce qui comme vous l’avez compris m’arrive souvent, de fermer la vanne d’arrivée d’eau et de faire fortune de mer au pied du Stromboli ! »

Cela fait longtemps que je souhaitais aborder le sujet passionnant de Pipicaca en mer. Rares sont les bateaux où cette question n’est pas abordée.

Généralement on distingue deux catégories d’infortunés.

Il y a tout d’abord celles et ceux que l’appréhension de la navigation ou le changement de milieu constipe.

Les deux premiers jours, tout va bien, on en parle, on plaisante…

—T’inquiète ça va aller !

Le troisième jour la psychose s’installe. Plus question de plaisanter, l’heure est grave. La dragée Fuca va t’elle fonctionner ? Un peu, beaucoup, trop ?

Le dénouement est par chance souvent heureux et la personne libérée a alors le sentiment d’avoir remporté le grand prix de l’Arc de Triomphe :

— Je te l’avais bien dit, c’était juste un petit blocage.

Et puis il y a celles et ceux que l’attirance pour la cuisine locale plus épicée que la nôtre précipite sur le trône.

La première fois tout va bien :

— C’est normal, ça va passer, j’ai juste un peu forcé sur le piment !

Mais lorsque la récidive s’invite deux fois, trois fois, rien ne va plus.

Il faut savoir qu’aller aux toilettes sur Omer n’est pas sans risque, surtout en navigation.

Il faut d’abord traverser le carré sans se cogner puis fermer la porte coulissante qui se coince avec un loquet qui saute à chaque nouvelle vague, ce qui rouvre la porte. Il faut ensuite se déshabiller très vite sous peine d’être projeté contre une des parois des toilettes puis bien viser la cuvette qui est petite.

Une fois installé il faut penser à bloquer la porte coulissante avec son pied et bien s’agripper sous peine de faire pour de bon le grand prix de l’Arc de Triomphe tout en faisant son affaire. Une fois l’opération terminée, il faut bien penser à ouvrir la vanne d’arrivée d’eau, mettre la tirette en position flush, pomper, fermer la vanne d’arrivée d’eau, mettre la tirette en position dry, repomper, ouvrir la vanne de sortie, repomper, la fermer et enfin se rhabiller. Un seul oubli et le résultat n’est pas beau à voir…

Cette opération n’est possible que lorsque le bateau gite du bon côté sinon dans le cas contraire la cuvette ne peut se remplir d’eau et donc il faut se retenir…

Et quand le « Dieu des casse couilles » s’y met, le papier toilette bouche la vanne de sortie. Il faut alors plonger et aller déboucher la vanne en question avec des baguettes chinoises scotchées entre elles.

Ayant déjà raconté cette séquence dans un précédent article, je ne vais pas vous l’infliger une deuxième fois.

Le Stromboli
La planchette arrière
Lipari
Lipari

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