Déjà trois semaines que nous avons quitté Pozzallo.
Comment le temps peut-il filer si vite à bord d’un bateau qui avance en moyenne à cinq noeuds soit environ neuf kilomètres heure et nous enseigne chaque jour l’éloge de la lenteur ?
Exemple :
— Ah tiens voilà le cap Spartivento qui se profile à l’horizon. Il est à quelle distance ? Vingt miles (40 Kilomètres). C’est bon j’ai le temps d’aller prendre une douche et de lire tout Guerre et Paix dans sa version originale.
Et pourtant le temps file…
Après Pozzallo, nous avons fait halte à Marzammemi où Deck, un vieux labrador tout brinquebalant nous a accueilli au ponton avec un grognement digne d’un grognard qui aurait fait la retraite de Russie. Deck a un maître, un vieux sicilien lui aussi tout brinquebalant qui gère la marina avec ses deux fils qui filent comme deux lévriers sur les pontons. Allez comprendre…
Marzammemi est un charmant petit village de pêcheurs avec sa thonerie, sa petite église, sa jolie place aux façades en pierres, ses tarifs prohibitifs et déjà ses hordes de touristes.
A Syracuse nous avons déambulé dans les ruelles ensorcelantes du vieux quartier d’Ortigia, longé ses hautes murailles en imaginant des hordes grecques, carthaginoises, romaines, byzantines, normandes venir faire le siège de la ville.
Nous nous sommes arrêtés au marché, cœur battant de la ville, où nous avons déjeuné d’une assiette de poissons dans une sympathique gargote. Au moment de passer au café, un grand noir trimballant des dizaines de breloques est venu nous déranger pour nous vendre sa camelote.
Grand noir, camelote, breloque… les clichés ont la peau dure…
Le grand noir en question, chose étrange, a un prénom, Ismael, une nationalité, Sénégalaise, parle un excellent français et en dépit des apparences est arrivé comme mécanicien en Sicile. Licencié économique au bout de huit ans de bons et loyaux services, il est aujourd’hui vendeur de rue pour nourrir sa famille. Mais surtout il est gai, gentil, généreux, nous offre des bracelets en pierre de lave de l’Etna, des colliers pour les petits enfants. Bref le genre de rencontre qui vous réchauffe le coeur et qui a sans doute inspiré la chanson de Nougaro : ”Armonstrong je ne suis pas noir, je suis blanc de peau…
A Syracuse nous avons également rencontré Fabio, le MacGyver de la marina. En un tournemain il a changé nos lumières en haut du mât, la girouette et le réflecteur radar qui avaient sans doute été arrachés lors de la sortie de l’eau du bateau à Pozzalo par l’homme à la célèbre devise « Death is certain, Life is not…»
Un beau gars Fabio qui a tapé dans l’œil de Laurence. Elle lui a trouvé une ressemblance, en plus sexy, avec Steve Jobs le fondateur d’Apple. Et comme Laurence a longtemps été une fan absolu d’Apple et de son fondateur et que le Fabio grimpait au mât avec la souplesse d’un gabier sorti tout droit de Pirate des Caraïbes, je me suis dit qu’il était temps qu’on mette les voiles !
Après Syracuse nous avons vogué vers Catane où un grand blanc avec une veste de quart sur le dos et un sac marin à l’épaule nous a rejoint. Lui aussi a un prénom : Benoit, une nationalité, breton, un métier en voie de disparition : médecin de campagne et un statut familial : beau-frère. Lui aussi parle un excellent français mais avec un accent breton à couper au couteau. S’il ne risque pas le licenciement économique, il risque de mettre la clé sous la porte tant l’administration lui met des bâtons dans les roues et lui court sur le haricot… Lui aussi est très gentil, est arrivé avec plein de cadeaux et surtout avec son éternelle bonne humeur tendue comme un carré de ciel bleu au dessus de la tête.
Après une première halte gastronomique à la marina de Roccella, (dans le coup de pied de l’Italie) où nous fûmes ses invités, car en plus Benoit est généreux, nous avons quitté l’Italie, direction la Grèce.
Ici je me dois de faire une petite parenthèse car lorsque nous avons quitté Morgat à bord d’Omer il y a huit ans, notre projet était de faire le tour de la Méditerranée pour aller jusqu’en Grèce. C’est donc avec une certaine nostalgie et excitation que nous entreprenons cette dernière traversée pour rejoindre notre destination finale.
Nous avons deux cent miles à parcourir, soit à raison de huit kilomètres par heure, deux jours et deux nuits de navigation. Heureusement nous avons emporté les œuvres complètes de Kazantsakis, écrivain, philosophe et grand voyageur qui a notamment écrit Alexis Zorba, roman picaresque et magnifique ode à la liberté qui a inspiré le film Zora le Grec.
Deux heures après le départ, le vent se lève et chose rare en Méditerranée il va souffler pendant toute la traversée. Les conditions sont donc plutôt favorables mais car il y a toujours un mais, Laurence qui a passé deux heures a scroller sur son écran, allongée sur sa banette a le mal de mer. C’est la première fois en huit ans qu’elle ne se sent pas bien et c’est d’autant plus ballot qu’il reste encore quarante six heures de navigation, que les conditions météo se renforcent et que, nous ne le savons pas encore, nous allons tirer un bord au prés de vingt quatre heures, le bateau gité, avançant sans répit à l’assaut des vagues…
Au matin du troisième jour, le vent dans un dernier souffle tire sa révérence, la mer s’apaise, une aube bleue chasse le noir de la nuit et fait apparaître au lointain une masse sombre qui s’élève dans le ciel, … la Grèce !
Et c’est sur une mer d’huile, dans une ambiance nimbée de bleue que commencent à percer de rose les premiers rayons du soleil que nous découvrons la magnifique île de Corfou








