La série noire du jaune

Ce matin-là nous quittons Nazare pour Peniche. Distance à parcourir environ 40 miles, temps estimé 8 heures. Depuis un mois que nous naviguons le long des côtes portugaises, nous sommes convaincus de connaître le scénario du jour par coeur.

Séquence 1 Démarrage du moteur jusqu’à environ 11 heures. La mer est calme, le vent absent.
Séquence 2 Le vent commence à se lever, de nord ouest comme d’habitude, 10/11 nœuds, nous hissons la grand voile et déroulons le génois.
Séquence 3 Le vent n’est pas tout à fait assez fort pour bien gonfler notre génois, aussi décidons-nous d’envoyer le spi.
Séquence 4 Il est 13 heures, nous avançons à 7 nœuds, la houle s’est levée, Omer surfe comme jamais sur les vagues et nous l’accompagnons par des « hola » endiablées.
Séquence 5 Il est 14h nous avons un petit creux, aussi je descends dans le carré préparer quelques sandwiches.

Jusqu’à présent tout se déroule selon nos prévisions mais car il y a toujours un mais, bien que nous ayons consulté plusieurs sites de météo marine, le vent continue de monter.

Séquence 6 Laurence qui est à la barre me signale qu’elle a de plus en plus de mal à retenir Omer qui commence à lofer dangereusement. Tout absorbé à préparer les sandwiches et trop content de voir le speedo dépassé toutes mes espérances, je dis à Laurence : « mais non, t’inquiète pas, tout va bien. Regarde ça envoie du steak !» Et effectivement ça envoie tellement de steak que le bateau part au lof sur une rafale à 25 nœuds. Laurence me crie qu’elle n’arrive plus à maîtriser le bateau, je sors en trombe du carré, et soudain pan le spi se déchire sur les 2/3 de sa hauteur. Je me précipite à l’avant pour le ramener, la houle est vraiment forte, les rafales se succèdent, le bateau tangue de plus en plus violemment.
Après plusieurs tentatives durant lesquelles Laurence et moi échangeons quelques noms d’oiseaux je finis par ramener le spi. Au moment de revenir au cockpit, le bateau empanne soudainement, Laurence hurle, j’ai juste le temps de baisser la tête sans même réaliser que la baume me passe à quelques centimètres au dessus de la tête. Le chariot de grand voile passe d’un bord à l’autre si violemment que la manille qui retient le palan de grand voile cède. Je dois avouer qu’au cours d’une récente réparation je l’avais mal serrée… J’essaie en vain de retenir l’écoute de grand voile qui me file entre les mains et me brûle deux doigts au passage, c’est la panique, la grand voile bat dans tous les sens, le bateau se couche dangereusement.
Finalement je réussis à rattraper l’écoute de grand voile, la passe dans l’un des taquets du chariot et nous reprenons notre route. L’ambiance est sombre, Laurence a cru que j’allais me faire décapiter par le passage violent de la baume. Le vent est de plus en plus fort, la mer est bien formée et le ciel vire au gris acier.
Notre arrivée sur Peniche est d’autant plus tendue qu’en rentrant dans le carré je vois de l’eau sous le plancher. En regardant de plus près je m’aperçois qu’il y a une voie d’eau qui vient du moteur. Là c’est le pompon !

Une fois amarrés, je « plonge » dans le moteur et découvre que le waterlock est percé tellement il est corrodé, d’où la voie d’eau.

Mais car il y a parfois deux mais dans une histoire, ce qui est formidable au Portugal c’est que rien n’est un problème.

Un plaisancier prénommé José qui bricolait sur son bateau me dit qu’il connaît un atelier qui pourra réparer la pièce. Dès le lendemain il m’emmène à l’atelier, explique mon problème au patron et me ramène au bateau. Trois heures plus tard, il revient avec la pièce réparée et un mécano qui l’installe pour la somme modique de 60 euros.

Séquence de fin : C’est la fin de l’après midi, José a refusé que nous le dédommagions pour tous ses déplacements mais a quand même accepté de boire une petite bière à bord. Nous le remercions pour la dixième fois pour sa gentillesse et en guise de réponse il nous dit qu’il est ravi de nous avoir rencontré et d’avoir ainsi pu entretenir son français qui était autrefois la première langue étrangère que les enfants portugais apprenaient à l’école !

Quelques jours plus tard.
Il est 9 h nous quittons Lisbonne pour nous rendre à Sesimbra, un port distant d’une quinzaine de miles, une bagatelle !
Comme d’habitude nous nous mettons face au vent mais au moment de hisser la grand voile le moteur décélère. Je remets des gaz mais rien n’y fait le moteur tourne au ralenti. Après nos récentes mésaventures, un petit vent de panique souffle alors à bord…
Nous décidons donc de revenir à Oeiras car pas question de naviguer sans un moteur qui marche. Cela est d’autant plus enrageant que ledit moteur est neuf de l’année dernière !
Le capitaine du port que j’ai alerté par radio de nos ennuis réagit avec efficacité et nous envoie immédiatement un zodiac pour nous ramener à la marina.
Une fois arrivés, Ludovic, un français que nous avons rencontré quelques jours auparavant me propose de démonter le préfiltre à gasoil. Aussitôt dit, aussitôt fait et là, surprise, ça sent l’essence à plein nez !
L’erreur n’a pas été très difficile à trouver.
En arrivant à Oeiras quelques jours auparavant, nous avions décidé de refaire le plein de gasoil.
Un jeune gars me demande « gazolina ?»
Et moi très sûr de mon portugais je lui réponds : « si si gazolina »
Et le voilà qui remplit le réservoir de gazolina mais car il y a toujours un mais, gazolina en portugais ne veut pas dire gasoil mais essence car gasoil se dit gazoleo. Et voilà comment une petite erreur de langage fait perdre une journée.
Le capitaine du port décidément très efficace nous envoie alors un mécano qui en deux temps trois mouvements purge les injecteurs, change les filtres et nous a dit en partant : « vostré moteur, il tourne comme une horloge ! »
Au fond de moi je me dis « pourvu que ce soit une horloge suisse !»
Le lendemain nous prenons la mer et depuis RAS !

6 Replies to “La série noire du jaune”

  1. Quand je lis votre série noire, je me dis que vous seriez bien, assis à côté de votre chêne, en train de siroter un jaune … et, comme j’apprécie, juste là, ce soir, de me régaler de la prose de Hugues, bien calée dans mon fauteuil ! Gibraltar et ses macaques (protégés par The Queen, car une légende raconte que la présence britannique prendra fin, à Gibraltar, le jour où les singes auront disparu) ne sont plus très loin. Nous pensons souvent à vous, et je guette, avec impatience, vos écrits et photos. Des ribambelles de bisous landivisiens.
    Nane

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  2. ça en fera des souvenirs d’aventuriers des océans à raconter au coin de feu dans votre penty avec tous vos petits enfants autour !
    Mais puisqu’il y a toujours un mais ! n’en cassez pas plus sur Omer pour continuer le scénario de la série noire du jaune ! La météo se trompe bien souvent en ce moment, ya plus de saisons qu’on dit !
    Ici au coin de mon arbre, j’ai failli le prendre sur ma tête, une énorme branche de 800 Kg chargée d’eau à cause des orages s’est écroulée sur mon toit en tuile en épargnant la verrière. Vivre avec les éléments c’est pas donné à tout le monde, profitez bien de tout, gros bisous Bijou

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  3. Mazette !!!
    Alors les amis, sacré formation en quelques jours ! Vous allez rentrer avec un niveau de fou 🙂
    Faites attention à vous, y a plus qu’à acheter des casques .
    Bises bretonnes.

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  4. Mazette !!!
    Alors les amis, sacré formation en quelques jours ! Vous allez rentrer avec un niveau de fou 🙂
    Faites attention à vous, y a plus qu’à acheter des casques .
    Bises bretonnes.

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