Née sur la plage

Bientôt un mois que nous sommes en Corse et pas une ligne écrite depuis notre arrivée.
La Corse, cette île où la paresse est érigée en vertu majeure et vous gagne chaque jour un peu plus.
Il est vrai qu’au hasard de nos déambulations j’ai souvent entendu un vieux corse assis à une table dire à son copain qui le rejoignait nonchalamment “mais pourquoi tu te précipites comme ça !” ou “Eh quoi tu cours pour pas te faire rattraper par une crise cardiaque ?”.
Ces petites phrases malicieuses ont presque fini par remplacer le traditionnel “bonjour comment ça va ?” qui, dans la bouche d’un corse, semble déjà être le signe d’une trop grande précipitation. En Corse, il faut prendre le temps avant de se dire bonjour…

Depuis un mois donc, nous paressons de ports en mouillages, de criques en criques.
Paresser n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot qui convient car un bateau au mouillage vit au rythme des vagues, un coup en bas, un coup en haut, et lorsque le vent faiblit un coup sur la gauche, un coup sur la droite; un roulis incessant qui nécessite de gainer en permanence, d’être sur ses appuis pour aller d’un point à un autre du bateau et d’entretenir ses réflexes pour rattraper au vol tous les objets qui valsent en permanence.
La seule issue pour échapper à cet enfer sur mer…est de nager dans une eau bleue turquoise, de gagner une plage de sable fin (elles sont légions en Corse) et de s’allonger à l’endroit précis où les vagues viennent se briser sur votre corps et vous récompensent ainsi de ces douloureux efforts…

A Calanche, une petite crique bordée d’une plage de sable fin (encore une) d’une eau bleue turquoise (encore une) et de cabanons anciens, nous avons rencontré un vieux corse qui paressait sur la plage sous un soleil de plomb.
Allongé sur les coudes, la tête bien relevée pour observer tout ce qui se passait autour de lui, une jambe repliée sur l’autre, il donnait l’impression de ne pas avoir bougé de place depuis sa naissance; né sur le sable en quelque sorte. Non loin de lui, sa femme était en train de téléphoner, le corps immergé aux trois quarts dans l’eau avec l’aisance d’une qui passe un coup de fil depuis sa baignoire; née sur la plage en quelque sorte.

Le vieux corse nous a raconté qu’il était natif du coin. Son grand-père jadis pêcheur, possédait un de ces cabanons sur la plage et partait chaque matin à la pêche avec quelques autres gars comme lui. Depuis, toute cette côte est une réserve naturelle, la pêche a disparu et l’activité dominante est la visite de cet endroit préservé.
Les petits bateaux de pêche ont laissé la place à de gros zodiacs propulsés par des moteurs de deux fois trois cent chevaux qui embarquent chaque jour des dizaines de touristes venus visiter ce magnifique parc naturel et ses grottes.
Notre vieux corse qui est un ancien garde forestier de la réserve est consterné :
“Pendant des années nous avons observé et préservé la faune, implanté des espèces, construits et entretenus des nids mais aujourd’hui avec toutes ces rotations qui font un bruit infernal, les aigles balbuzards qui sont des aigles pêcheurs partent les uns après les autres, il y’a tellement de bruit que tous les oiseaux foutent le camp nidifier ailleurs, c’est une catastrophe !”
Pendant toute la conversation notre vieux corse est resté dans la même position comme incrusté dans le sable; sa femme quant à elle est allée chercher une chaise en plastique et a terminé sa conversation téléphonique assise les fesses dans l’eau…
Nés sur la plage en quelque sorte…

A Calvi nous avons pris une bouée à l’entrée du port et avons gainé comme jamais. Le jeune ange blond aux yeux clairs qui est venu nous réclamer le prix de l’amarrage a prétendu que la houle était rarissime à Calvi alors que tous les forums ne parlent que de ça !
Outre le gainage, nous avons passé deux jours à tenter de savoir à quel endroit précis Anne-Marie, ma belle sœur, était née sur la plage. Le seul indice que nous avions était une photo représentant ma belle-mère, Marie-José, allongée sur un transat avec des copines devant un cabanon. A l’époque le camp de vacances où mes beaux-parents travaillaient comme moniteurs était composé de cabanons posés sur le sable dans une pinède. Un soir Bernard, mon beau-père, emmena sa jeune épouse accoucher à Bastia car il n’y avait pas de maternité à Calvi mais car il y a toujours un mais, à peine partis ils durent rebrousser chemin et revenir dare-dare à Calvi car Marie-José sentait les premières contractions.
Bernard retourna au cabanon et procéda lui-même à l’accouchement de sa femme, coupant le cordon, veillant à ce qu’il ne s’enroule pas autour du cou du bébé, enveloppant Anne-Marie dans une couverture et enterrant le placenta pour ne pas qu’il soit bouffé par les chiens. Ce dernier détail qui m’a souvent été raconté m’a toujours paru surréaliste. Comment mon beau-père a t’il eu la présence d’esprit d’enterrer le placenta pour ne pas qu’il se fasse bouffer par les chiens ?

Nous avons donc cherché le cabanon, en vain. La plage existe toujours, la pinède aussi mais aucune trace du cabanon pas plus que du placenta…

A sa naissance, Anne-Marie a été faite citoyenne d’honneur de la ville de Calvi.
Née sur la plage mais cette fois pour de vrai !

La crique de Calanche
La citadelle de Calvi
Calvi
La pinède où Anne-Marie est née
Marie-José avec ses copines devant le cabanon 1955
Une pub de l’époque pour les camps de vacances

 

One Reply to “”

  1. hello chers omériens,
    quelle jolie histoire que celle d’Anne-marie, c’est tellement émouvant! La crique de Calanche je la connais elle est très belle tot le matin ou tard le soir quand la triste marée humaine des vacanciers a enfin déserté la plage pour laisser la nature reprendre son droit au calme, alors si vous avez pu mouiller en face vous en aurez profité ? Superbe surement avec un coucher de soleil , même ballotté par les vagues non ?
    Bisous Bijou

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