Être et avoir été

Après avoir passé deux jours au mouillage dans la magnifique cala Rossa nous sommes allés à Mazzara, une ville anciennement occupée par les Arabes. Nous avons déambulé dans les rues de la casbah où tous les petits commerçants venus d’Afrique du Nord parlent français, visité la cathédrale entièrement peinte dans le style rococo, admiré la célèbre statue grecque en bronze du satyre dansant repêché par hasard du fond de la mer dans les années quatre vingt dix et enfin bu un cappuccino en admirant un majestueux ficus vieux de centaines d’années.

Le soir nous sommes allés dîner dans un restaurant recommandé par le marinero du port pour son plat de crevettes, la spécialité locale.

En bons bretons habitués à manger des produits de la mer, nous avons été un peu déçus par le plat en question mais en revanche nous avons adoré l’ambiance de ce restaurant populaire où des familles et des bandes d’amis endimanchés semblaient tous se connaître et s’interpellaient bruyamment d’une table à l’autre.

L’Italie avec sa vitalité nous sautait une nouvelle fois au visage et Mazzara dont nous n’attendions rien aura été une halte inattendue qui nous aura plongé dans un passé que nous ignorions et fait découvrir une ville balnéaire typiquement sicilienne.

Le lendemain nous sommes repartis direction Sciacca. La météo annonçait du vent fort à partir de quatorze heures mais car il y a toujours un mais, le robot prévisioniste de la météo a sans doute eu une panne de réveil car le vent s’est déchainé plus d’une heure avant notre arrivée.

Des rafales à trente cinq noeuds, des creux de deux mètres, une mer écumante et nous voilà propulsés comme dans Tonnerre de Zeus, la super attraction du parc Astérix sans pouvoir dire pouce.

Le bateau s’est couché plusieurs fois sur le flanc, Laurence est passée tout juste à côté de la crise de nerfs et moi à côté de la catastrophe tant j’ai eu du mal à aller en pied de mât pour relâcher, sans harnais de sécurité, le hale-bas qui empêchait la baume de remonter et qui a bien failli tout arracher.

Nous sommes arrivés à Sciacca rincés.

A peine avons-nous mis pied à terre qu’un gars d’un bateau voisin est venu nous voir :

— Dites donc les Bretons, vous n’avez pas froid aux yeux…

Laurence :

— On a surtout eu très chaud. Franchement la météo c’est n’importe quoi.

Tandis que Laurence explique au gars que c’est la dernière fois qu’elle navigue dans des conditions pareilles, la femme de son interlocuteur nous rejoint :

— Comme je vous comprends, moi c’est pareil, je l’ai dit à David : je ne veux plus naviguer dans de mauvaises conditions. D’ailleurs je suis arrivée il y a deux jours et je repars demain. Depuis un an j’ai un bras qui me fait horriblement mal, j’ai mal au dos, j’ai passé un IRM…Quand je pense qu’à dix huit ans je partais toute seule à Ouessant sur le bateau de mon père !

Etre et avoir été…

Combien de fois cette cruelle constatation se rappelle à nous et dans le cas présent jusqu’à quand va t-on pouvoir naviguer ? Jusqu’à quel âge va t’on avoir la force de remonter son ancre sans guindeau, supporter la chaleur ou tout simplement se déplacer sur le bateau sans perdre l’équilibre ?

Laurence me répète souvent qu’elle n’a plus assez confiance en elle pour naviguer. Elle veut bien farniente sur le bateau mais pour le reste, trop dure, trop chaud, trop inconfortable…

Quant à moi un début de réponse m’a été proposé ce matin lorsque j’ai été obligé d’avancer comme un vieux lézard à l’avant du bateau pour débloquer le Hale-bas trop tendu alors que quelques années auparavant j’y serai allé en sautant comme un cabri…

A méditer…

Mazzara
Mazzara
Le satyre dansant de Mazzara
Mazzara

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